L’industrialisation des pratiques agricoles
Les premiers engrais azotés chimiques sont produits industriellement dans les années 1910 mais ce n’est qu’ à partir de 1945 que l’agriculture française – comme Européenne- voit une intensification massive de sa production grâce à l’aide du plan Marshall. Les prêts octroyés à l’Europe de l’après-guerre – l’équivalent de 173 milliards de dollars de 2020 – étaient assortis d’une contrepartie : le recours à la motorisation, aux engrais chimiques, aux pesticides et à de nouvelles variétés végétales adaptées à ces nouvelles conditions de culture.
Ces récentes pratiques agricoles, le remembrement des parcelles, la disparition des petites unités de culture, des haies, des bosquets ont conduit à abandonner l’équilibre agro-sylvo-pastoral qui régnait jusqu’alors et, par voie de conséquence, à appauvrir les sols.
Les analyses, tant physico-chimique que biologique, des terres cultivées dévoilent une telle dégradation que leur fertilité semble désormais compromise. Les pratiques agricoles tels que l’usage d’engrais, d’herbicides, de pesticides mais aussi les labours et les terres mises à nu ont conduit à une érosion de la biodiversité ayant, pour conséquence, l’extinction localement de nombreuses espèces animales (papillons, abeilles, guêpes, coléoptères, reptiles, amphibiens, alouettes…).
La biodiversité du sol
Si les plantes représentent plus de 80% de la biomasse totale de notre planète, les bactéries, champignons et micro-organismes, invisibles, atteignent près de 17% de celle-ci. Sous la surface des sols, la biomasse est estimée à 40% de la biomasse totale (racines, bactéries, champignons, micro et macroorganismes).
Les vers de terre, à eux seuls, représentent une biomasse 3 fois supérieure à l’espèce humaine.
Enfin, le sol abrite plus de 25 % des espèces animales et végétales terrestres , ce qui en fait, parmi les écosystèmes terrestres, un des habitats les plus riches en diversité biologique.
La biodiversité du sol inclut les habitants de la matrice du sol mais aussi ceux des « annexes » (litière, bois morts, cadavres d’animaux, déjections…). Chacun des organismes vivants dans le sol joue individuellement un rôle spécifique mais leur grande diversité et les relations qu’ils établissent entre eux rendent compte du bon fonctionnement des milieux terrestres (biotopes) et de leur adaptabilité aux changements (changement climatique ou changement d’usage des terres).
Outre notre regard sur le monde vivant, les sols constituent aussi le plus grand réservoir de carbone terrestre dans le premier mètre de profondeur. Ce carbone organique du sol est issu principalement des plantes qui prélèvent le gaz carbonique (CO2) dans l’atmosphère lors de la photosynthèse et qui le transfère dans le sol, sous forme de molécules organiques simples, via l’exsudation racinaire ou sous forme de litières (feuilles et racines mortes). Pour les plantes cultivées ces litières sont perdues lors de la récolte, d’où l’intérêt de les compenser par des couverts végétaux laissés sur le sol ou épandus après récolte.
Les microorganismes (principalement bactéries et champignons) contrôlent ensuite le devenir du carbone dans les sols : ils le stabilisent dans des complexes organo-minéraux sous forme plus ou moins stable ou l’utilisent comme source de biomasse ou d’énergie.
Enfin, les vers de terre lombriciens, présents jusqu’à 3 tonnes à l’hectare dans les sols fertiles soit environ 300 000 individus, participent à la décomposition et au recyclage des éléments biogènes du sol (azote, phosphore, potasse, etc.) nécessaires à sa fertilité. Ils rajeunissent continuellement le sol en créant des galeries (4000 km à l’hectare !), en optimisant sa structure et en y créant une porosité exceptionnelle. Enfin, ils ingurgitent et régurgitent la terre pour former, grâce à leur sécrétion digestive, un complexe stable dit argilo-humique, à raison de 270 kg de terre remué par an et par kilo de vers de terre !
Biodiversité, les artisans de la fertilité
Chaque organisme vivant présent dans le sol peut être regroupé selon leur fonction :
- les ingénieurs physiques (ex : vers de terre, fourmis) renouvellent la structure du sol et favorisent les biotopes idoines pour les autres organismes du sol. Ils régulent également la distribution spatiale de la matière organique.
- les régulateurs (nématodes, acariens, collemboles, anoures…) contrôlent l’activité des micro-organismes du sol et limitent la prolifération des agents pathogènes.
- les ingénieurs chimiques, principalement bactéries et champignons, assurent la décomposition de la matière organique (bois, lignine, feuilles…) en éléments nutritifs assimilables par les plantes, minéral (azote, phosphore, nitrate…) et organique (humus). Ils ont aussi la fonction de dépolluant (hydrocarbures, pesticides, métaux lourds…). Les études sur les Mycorhizes montrent que leur réseau est symbiotique des plantes et leur amène eau et minéraux en échange de sucres.
Menaces sur la biodiversité
L’accroissement de la pression exercée par les activités humaines (artificialisation et imperméabilisation des sols, modes de gestion agricole et forestière) et les changements climatiques, sont les principales causes des dégradations subies par les sols.
La biodiversité du sol est directement impactée et menacée par les dégradations générées par les pratiques agricoles intensives telles que labourage profond et sols mis à nu qui favorisent l’érosion et la diminution des teneurs en matières organiques. D’autres facteurs sont aujourd’hui connus : les monocultures, les pollutions agro-chimiques, le tassement des sols, l’imperméabilisation, l’acidification, et la salinisation des sols.
Préservation de la biodiversité
Quelques pratiques sont reconnues pour régénérer des sols vivants, les fertiliser et favoriser la biodiversité :
- Faire des apports réguliers de matière organique. Ils améliorent la structure du sol en augmentant la capacité de rétention de l’eau et des nutriments et en protégeant le sol contre l’érosion. Les cultures avec peu ou pas de labour et avec épandage de compost ou d’autres produits résiduaires organiques augmentent la teneur en matière organique des sols.
- Limiter les intrants agro-chimiques. L’utilisation de pesticides, herbicides, fongicides et de fertilisants chimiques favorise certes les rendements mais nuit aux organismes du sol.
- Prévenir le tassement en évitant les passages répétés d’engins, en particulier sur sol mouillé. Ces tassements diminuent les quantités d’air, d’eau et d’espace disponibles pour les racines et les organismes du sol.
- Minimiser le risque d’érosion. Un sol nu est sensible à l’érosion par le vent et l’eau, au dessèchement et à l’encroûtement. La présence d’une couverture végétale ou de résidus de cultures protège le sol, fournit des habitats pour les organismes du sol et peut améliorer la disponibilité en eau et en nutriments.
- Revoir l’occupation des sols. Les haies, les cultures variées, les engrais verts doivent être favorisées et gérées selon des pratiques durables et respectueuses de l’environnement (agroforesterie, agro écologie, permaculture).
En conclusion, il convient préférentiellement de nourrir la terre (amendement) et non les plantes par des engrais dont le rôle est temporaire et fugace voire toxique. Ainsi, en favorisant la microfaune et la biodiversité, le sol deviendra, au fil des années, résilient, fertile et productif.
Auteur : Arnaud Martin – Association Les jours qui suivent, février 2020